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Sub umbra alarum tuarum
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20 juin 2010

Car l'adieu c'est la nuit

“ Vous me demandez mon âge ? Je n’ai pas écrit de poème — excepté un ou deux — avant cet hiver — Monsieur —
     J’avais une terreur — depuis septembre — que je ne pouvais dire à personne et donc je chante, comme le Garçon près du cimetière — parce que j’ai peur — Vous vous enquérez de mes Livres — Pour Poètes — j’ai Keats — et M. and Mrs. Browning. Pour prose — M. Ruskin — sir Thomas Browne — et l’apocalypse. J’ai fréquenté l’école — mais pour reprendre votre formule — n’ai pas eu d’éducation. Petite fille, j’avais un ami, qui m’a enseigné l’Immortalité — mais s’étant aventuré trop près d’elle, lui-même, — il n’est jamais revenu — Peu après, mon tuteur est mort — et pendant plusieurs années mon Lexique — a été mon seul compagnon — Puis j’en ai trouvé un autre — mais il ne s’est pas satisfait que je sois son élève — et il a quitté le Pays.
     Vous me demandez quels sont mes compagnons : les Collines — Monsieur — et le couchant — et un Chien — aussi grand que moi — que mon Père m’a acheté — Ils valent mieux que des Êtres — parce qu’ils savent — mais sont muets — et le bruit dans la Mare, à Midi — surpasse mon piano. J’ai un Frère et une Sœur — ma mère ne se soucie pas de la pensée — Père, trop absorbé par ses Dossiers — pour remarquer ce que nous faisons — Il m’achète beaucoup de Livres — mais me supplie de ne pas les lire — car il craint qu’ils n’ébranlent l’Esprit. Ils sont religieux — sauf moi — et chaque matin, s’adressent à une Éclipse — qu’ils appellent leur "Père". Mais j’ai peur que mon conte ne vous lasse — je voudrais apprendre — Pourriez-vous me dire comment grandir — ou est-ce intransmissible — comme la Mélodie — ou la Magie ? ”
 

(Extrait de la lettre à Higginson du 25 avril 1862)  Emily Dickinson, Lettres au maître, à l'ami, au précepteur, à l'amant, Ed. José Corti, 1999.

Emily Dickinson n'a rien publié de son vivant, sauf une poignée de poèmes qui lui ont été arrachés, mais elle ne s'inscrit dans aucun courant, ne s'est exprimée sur son art nulle part ailleurs que dans ses poèmes. Ennemie du temps (à l'âge de 15 ans elle ne savait toujours pas lire l'heure ou ne voulait pas la lire...), elle n'a jamais daté ses textes, ni constitué de recueil en vue d'une publication. Elle Emily_dickinsons'est bornée à introduire un semblant d'ordre dans les feuillets qu'elle accumulait, d'abord en les cousant ensemble de manière à former des Cahiers (Fascicles) pendant 6 ans, puis en les assemblant dans des Liasses (Sets) pendant une période équivalente, et enfin en cessant de les classer au cours des dix ans qui lui restaient à vivre, comme si elle en avait fini avec toute tentative ou tentation de séparer l'activité poétique de la vie. (Claire Malroux, "Préface", Car l'adieu c'est la nuit, Gallimard, 2007.)

DickinsonChildren1830, 10 décembre : naissance à Amherst (Massachusetts), fille d'Edward Dickinson, homme de loi et d'Emily Norcross. Austin, son frère aîné, est né un an auparavant. Lavinia (Vinnie), sa soeur cadette naît en 1833.


 "D'un pas léger est entrée une femme petite et quelconque, avec deux bandeaux lisses de cheveux un peu roux... " (1870, Lettre de Higginson à sa femme.) 

 Dix ans auparavant, Emily lui avait écrit : "Si vous n'êtes pas trop occupé, pourriez-vous me dire si mes poèmes sont vivants ?

http://www.jose-corti.fr/auteursromantiques/dickinson.html (A noter que la plupart des liens en anglais sont morts)


Doux scepticisme du Coeur-

Qui sait- et ne sait pas-

Oscille comme une Flotte Balsamique-

Assaillie par la neige-

Invite et puis retarde la vérité

De crainte que le Sûr ne s'use

Comparé aux affres exquises

D'une extase que la Peur aiguise-

(Car l'adieu c'est la nuit, Liasses, p. 323)


Y aura-t-il pour de vrai un "matin" ?
Y a-t-il ce qu'on appelle un "Jour"?
Pourrais-je le voir des montagnes
Si j'étais aussi haute qu'elles ?

A-t-il des pieds commes les Nénuphars ?
Des plumes comme un Oiseau ?
Nous vient-il de pays fabuleux 
Dont je n'ai jamais ouï parler ?

Oh, un Savant ! Oh, un Marin !
Oh, un Sage venu des cieux !
Qu'il dise à une petite Pèlerine
Où se trouve le lieu nommé "matin" !

(Car l'adieu c'est la nuit, Cahiers, p.57)


J’étais morte pour la Beauté – mais à peine DICKINSONGRAVE
M’avait-on couchée dans la Tombe
Qu’un Autre – mort pour la Vérité
Etait déposé dans la Chambre d’à côté –

Tout bas il m’a demandé « Pourquoi es-tu morte ? »
« Pour la Beauté », ai-je répliqué –
« Et moi – pour la Vérité – C’est Pareil –
Nous sommes frère et sœur », a-t-Il ajouté –

Alors, comme Parents qui se retrouvent la Nuit –
Nous avons bavardé d’une Chambre à l’autre –
Puis la Mousse a gagné nos lèvres –
Et recouvert – nos noms – 

 Emily Dickinson, Escarmouches,1992.


Si tu devais venir à l'Automne,
Je chasserais l'Eté,
Comme mi-sourire, mi-dédain,
La Ménagère, une Mouche.

Si je pouvais te revoir dans un an,
Je roulerais les mois en boules -
Et les mettrais chacun dans son Tiroir,
De peur que leurs nombres se mêlent -

Si tu tardais un tant soit peu, des Siècles,
Je les compterais sur ma Main,
Les soustrayant, jusqu'à la chute de mes doigts
En Terre de Van Diemen.

Si j'étais sûre que, cette vie passée-
La tienne et la mienne, soient -
Je la jetterais, comme la Peau d'un fruit,
Pour mordre dans l'Eternité -

Mais, incertaine que je suis de la durée
De ce présent, qui les sépare,
Il me harcèle, Maligne Abeille -
Dont se dérobe - le dard.

(Car l'adieu c'est la nuit, Cahiers, p. 105) 


Il est une solitude de l'espace

Une solitude de la mer

Une solitude de la Mort, mais elles

Sont société

Comparées à ce site plus profond

Cette polaire intimité

D'une âme qui se visite-

 (Car l'adieu c'est la nuit, Poèmes non datés, p. 361)

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