Les Ise monogatari comptent parmi les plus anciens et les plus célèbres documents littéraires que le Japon ait conservés.
Les Contes d'Ise se présentent sous la forme de 209 poèmes (des tanka en 5 vers, de 31 syllabes : 5-7-5-7-7) qui sont parfois groupés par deux, et même par trois, et enchâssés dans quelques lignes de prose pour constituer 125 anecdotes. Ces dernières n'ont entre elles aucun lien qui pourrait former la trame d'un roman. Un grand nombre de contes (mais pas tous) sont relatifs aux aventures amoureuses d'un personnage de distinction (il était petit-fils d'empereur) qui s'appelait Ariwara no Narihira et qui vécut de 825 à 880, mais on ne saurait y voir une biographie de cet homme.
Ces contes nous font partager les émotions éprouvées par l'auteur du fait de l'absence d'un être aimé, ou lorsqu'il soupire vainement après une femme inaccessible, ou lorsqu'il admire les beautés de la nature. Ils sont écrits dans un style élégant, malgré le manque de souplesse d'une langue encore peu évoluée et une concision extrême qui les rend souvent obscurs.
Contes d'Ise, Préface, p.9-11.
III
Si vous m'aimiez
Dans un pavillon délabré
Vous dormiriez [avec moi]
Même si pour tapis
Nous n'avions que nos manches
VII
De plus en plus,
Après les lieux que j'ai quittés
Je soupire.
Combien je vous envie
Vagues qui revenez en arrière !
XV
Jadis, en Michinoku, un homme fréquenta la femme [la fille] d'un homme de petite condition. Comme, curieusement, elle n'avait pas l'air si commune que cela, l'homme [lui envoya ceci]:
S'il était
Pour y accéder en secret,
Un chemin,
Je pourrais voir
Le fond de votre coeur.
La femme ne trouvait pas assez d'éloges [pour un tel poème] (...).
XIX
Jadis un homme eut des relations avec une suivante des dames de la cour, mais bientôt il s'éloigna d'elle. Comme il avait son emploi dans les mêmes lieux, la fille l'apercevait souvent, mais lui, faisait comme s'il ne la connaissait pas. La fille lui envoya ces vers :
Aussi loin que les nuages qui sont au ciel
Mon amant
S'éloigne de moi.
Pourtant à mes yeux
Il apparaît souvent.
L'homme répondit :
Si comme les nuages, au ciel
Je passe
Mon temps,
C'est que sur ma montagne
Le vent est violent.
Ainsi répondit-il, parce que l'on disait que la fille avait des amants.
XX
Jadis, un homme ayant vu une femme en Yamato, se lia avec elle. Or, quelque temps après, comme il avait un emploi à la cour, il repartit pour la capitale. Sur son chemin, il cassa une très jolie branche d'érable - on était alors dans la troisième lune- et l'envoya à la femme avec ces mots :
La branche
Que j'ai cassée pour toi,
Bien que nous soyons au printemps,
A pris de l'automne
Une teinte vermeille.
Quant il fut revenu à la capitale, cette réponse lui parvint :
En un temps [si court]
Un tel changement de couleur
Se serait-il produit ?
Dans votre village
Le printemps ne paraît pas régner.
XXX
Jadis un homme adressa ceci à une dame qu'il ne rencontrait que rarement :
Le temps de nos rencontres
Ne dure qu'un éclair
Me dis-je,
Mais votre cruauté
Me paraît longue.
XXXII
Jadis, un homme qui avait été lié avec une femme lui adressa ces mots, des années plus tard :
Si du passé
On pouvait renouer
Le fil
Et faire revenir aujourd'hui
Le temps jadis !
Telles furent ses paroles, mais il est à croire que la femme ne se soucia pas de lui.
XXXV
Jadis un homme adressa ceci à une femme dont il s'était séparé bien que son coeur n'y fût pour rien.
Les fils de nos vies
En un noeud serré,
Ayant été noués,
Même après nous être séparés
Je crois que nous nous reverrons encore.
XLIII
Coucou !
Les villages où tu chantes
Sont si nombreux
Que je suis délaissé
Bien que je t'aime
LXXII
Jadis un homme ne pouvant plus rencontrer une fille de la province d'Ise dit qu'il allait se rendre dans une province voisine ; il lui en voulait beaucoup. La fille lui écrivit :
Ce qui est haïssable
Ce n'est pas le pin d'Oyodo
Qui attend
Mais la vague qui s'en va
Simplement après avoir vu la plage
CVII
J'ai les yeux perdus dans le vague,
Comme enflés par les longues pluies.
La rivière de mes larmes
Ne trempe rien que mes manches
Parce que je ne puis vous rencontrer.
C'est parce qu'elle n'est pas profonde
Qu'elle mouille vos manches,
La rivière de vos larmes
Si j'entends que votre personne même est emportée par le courant,
J'aurai confiance en vous.
Comme il m'est difficile
De vous demander si vous m'aimez
Vraiment
La pluie qui connaît mon destin
Tombe de plus en plus fort.
CXIII
Jadis un homme qui avait été laissé seul [par une femme, composa ce poème ] :
Pour m'oublier
Dans l'espace d'une vie
Qui n'est pas longue,
Quelle n'est pas la sécheresse
De votre coeur !
CXXIV
Jadis un homme composa ce poème :
Ce que je pense
Sans le dire je le garderai pour moi,
Tout simplement,
Car d'hommes éprouvant les mêmes sentiments que moi
Il n'en est pas.
CXXV
Jadis un homme se sentant malade avait l'impression qu'il allait mourir. Il composa ce poème :
Qu'à la fin
Il y eût un chemin qu'il faut suivre,
Je l'avais déjà entendu dire,
Mais je ne pensais pas
Que ce serait aujourd'hui ou demain.